« La numérisation facteur d’exclusion pour ceux qui cumulent précarité sociale et numérique »

La loi a introduit, dès 2016, et jusqu’en 2019, une généralisation graduelle de la déclaration de revenus en ligne. Cette année, les contribuables qui ont perçu plus de 40 000 euros de revenus imposables en 2014 doivent obligatoirement effectuer leur déclaration sur Internet. Quelques exceptions demeurent.


Inscription à Pôle emploi depuis mars, prime d’activité lancée par la Caisse nationale d’allocation familiale depuis janvier, déclaration de revenus au mois de mai… Avec la dématérialisation totale de nombreux services publics essentiels, la République numérique se modernise.

Mais elle prend le risque de se construire sur un terrain inégalitaire. Car ces services 100 % en ligne, qui s’installent sans vraiment s’annoncer, font vaciller le pacte républicain pour tous ceux qui sont éloignés d’Internet. Nous, acteurs de la solidarité, entreprises privées, entrepreneurs du Web, réunis pour la première fois, faisons un seul et même constat : plus que jamais, l’autonomie numérique (ou littératie numérique) de tous devient une condition nécessaire de notre cohésion sociale. Chacun le devine, sans en mesurer l’importance.

Des perspectives uniques de modernisation

Nous en sommes convaincus, le numérique offre des perspectives uniques de modernisation de l’Etat. Cependant, si pour nombre d’entre nous la dématérialisation des services les plus essentiels facilite le quotidien, tous les Français ne sont pas encore armés pour affronter ces nouveaux usages.

Pour les plus de cinq millions de citoyens qui cumulent précarité sociale et numérique, la numérisation représente un facteur d’exclusion supplémentaire : une double peine pour des mères célibataires devenues subitement dépendantes des compétences numériques de leurs enfants, pour des personnes âgées isolées, pour des travailleurs peu qualifiés et des jeunes en recherche d’emploi.

Certains citoyens, en situation d’illettrisme par exemple, auront d’ailleurs toujours recours au guichet. Soulignons que la précarité numérique est protéiforme : difficultés d’accès liées à la bancarisation des personnes et au coût des équipements, méconnaissance des opportunités qu’Internet peut offrir, démotivation ou défiance face à un clavier… sont autant de freins à l’inclusion numérique – et donc sociale – des plus fragiles.

Agréger nos forces

Parce qu’en 2016 la dématérialisation des services publics fait d’Internet un passage obligé pour accéder à ses droits et à sa citoyenneté, ces publics en difficulté affluent déjà vers les guichets d’aide sociale. Ils viennent chercher de l’aide pour s’inscrire aux services de la protection sociale ou pour actualiser leurs droits. Les effectifs étant insuffisants pour traiter ces demandes croissantes d’accompagnement, ils sont redirigés vers les associations de solidarité et auprès des professionnels de l’accompagnement social.

Une étude conduite en 2015 par Emmaüs Connect montre que l’action sociale subit de plein fouet la dématérialisation totale de services de première nécessité : 75 % des professionnels interrogés par l’association sont contraints à faire les démarches « à la place de » la personne qu’ils accompagnent. Pourtant, seuls 10 % d’entre eux déclarent être formés pour accomplir cette tâche. Les acteurs de la solidarité signalent que les équipes de bénévoles sont confrontées aux mêmes demandes, et au même manque de cadre et de solutions pour y répondresereinement.

Pourtant, pour accompagner ces publics fragilisés par la dématérialisation, il existe de nombreuses initiatives publiques et associatives, portées par les acteurs de la solidarité ou de la médiation numérique. Ils sont, malgré leur engagement indéfectible, atomisés sur les territoires et dépendants de financements insuffisants. Au final, leurs réponses sont sans commune mesure avec la masse des personnes concernées par la précarité numérique et donc potentiellement en rupture de droits.
Convaincus que le numérique peut-être à la fois vecteur d’égalité des chances et source de développement économique, les signataires de cette tribune, saisis par l’urgence, souhaitent s’unir autour d’une grande initiative citoyenne qui vise àmettre l’action sociale, les médiateurs numériques, les acteurs publics, les opérateurs de la protection sociale, le secteur privé et même chaque citoyen en capacité d’accompagner les plus fragiles vers l’autonomie numérique. Pourmoderniser, sans exclure.

Outil indispensable d’éducation

Partout où l’enjeu est soulevé, chacun perçoit la profondeur du sujet : commentexpliquer alors l’absence d’un plan national qui prendrait la mesure de l’urgence, et l’absence de ligne budgétaire associée ? Un plan « Usages » qui viendraitcompléter le plan Très Haut Débit – 20 milliards d’euros d’ici à 2020 – et qui, au même titre que ce dernier, représenterait un véritable investissement, à la fois réaliste et salutaire, pour l’avenir.

Conscients de nos responsabilités, nous, signataires, nous engageons à nousorganiser en formant des réseaux d’accompagnement au numérique sur le territoire. Ces réseaux sont déjà en partie existants : ce sont les nôtres, il faut lesoutiller, les démultiplier et les animer. C’est pour cette raison que nous plaçons une partie de nos espoirs dans le développement de ressources pédagogiques et de parcours de formation en ligne, gratuits et collaboratifs, autour desquels nous pourrons agréger nos forces et nos ressources.

Cette plate-forme Web pour le développement de la littératie numérique permettrait également à une communauté de citoyens, moins formelle mais néanmoins massive et solidaire, d’aider un ami, un parent, un voisin. Nous n’inventons rien, nous nous inspirons directement du succès de pays qui, de l’Australie à la Scandinavie en passant par le Royaume-Uni, ont investi dans cet outil indispensable d’éducation au numérique pour accompagner les publics fragiles à grande échelle. Un défi que nous relèverons collectivement, car nous avons tout et tous à y gagner.

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