Paris, la France et le jeu vidéo indépendant

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À l’occasion de la neuvième étape de leur tour d’Europe du jeu indépendant, Benedikt Hummel et Marius Winter se sont arrêtés à Paris. Valentin Cebo nous parle du travail des créateurs locaux, de plus en plus influents sur la scène internationale.
Alors que l’on parle souvent de Paris et du désert français, en matière de jeu indépendant il en va bien autrement. L’une des particularités de l’industrie française dans ce domaine est sa grande diversité géographique. Les artistes et développeurs sont en effet très attachés à leurs régions d’origine, d’où l’apparition depuis une décennie de nombreux pôles dans les principales agglomérations. Paris, évidemment, mais aussi Montpellier, Lille, Marseille, Bordeaux ou Metz sont quelques-unes des villes où il fait bon vivre si l’on est un créateur indépendant.


Evidemment, la France a ses principaux porte-étendards. On pense notamment austudio Amplitude, studio parisien dont le savoir-faire est aujourd’hui connu de joueurs du monde entier grâce à la série des Endless, mais aussi à des développeurs plus modestes, comme les Montpelliérains de Swing Swing Sumbarine à qui l’on doit Blocks That Matter et qui travaille actuellement sur Seasons After Fall. Outre une poignée de studios majeurs fréquemment cités en exemple par la presse locale et internationale, de nombreux studios étalés aux quatre coins de l’Hexagone multiplient eux aussi les projets et les initiatives, en travaillant souvent de concert avec les pays voisins.
Il n’est ainsi pas rare de croiser sur Kickstarter (plateforme de financement encore indisponible en France) des projets issus de studios français (qui sont donc obligés de s’implanter à l’étranger), comme Shiness, réalisé par le studio Enigami et inspiré du travail du dessinateur Samir Rebib. Très proche des jeux de rôle typiquement japonais dont il s’est franchement inspiré, ce titre audacieux et réalisé par une poignée de passionnés a su séduire les amateurs du genre et la presse internationale en quelques semaines. La chance leur a souri, et ils disposent aujourd’hui de plus de 100 000 euros pour mener ce premier projet à terme, confortablement installés dans une pépinière d’entreprises du nord de la France, en région lilloise. Depuis, d’autres projets ont pris le même chemin : c’est notamment le cas de Goetia, qui terminait il y a deux semaines sa campagne Kickstarter, soutenu par la plateforme Collective de Square Enix.
Dans le même temps, des dizaines de projets grandissent tranquillement et n’hésitent pas à marcher sur les plates-bandes des plus grands. Aurélien Regard, développeur parisien et ancien membre d’Arkedo Studio, présentait par exemple son projet The Next Penelope à la Gamescom 2014, premier salon européen du jeu vidéo. Après plus d’un an et demi de développement, le jeu est aujourd’hui sorti et s’est trouvé un public qui en dit beaucoup de bien. Encore à Paris, le jeune collectif Le Cartel a fait beaucoup de bruit en juin dernier avec le premier trailer de Mother Russia Bleeds, leur premier jeu. Cocktail de violence et de drogues perdu dans une Russie au look pixélisé, "l’histoire est celle d’un prisonnier accro à la drogue qui s’échappe et part en quête d’une violente vengeance", nous disent les artistes parisiens. Avec une communauté russe et internationale déjà très active pour soutenir le projet et une mise en avant de la part de gros bonnets tels que Devolver Digital, les quatre créateurs du Cartel ont de quoi secouer la baraque.
Mais la scène indépendante française est également très présente sur le paysage européen et international, et n’hésite pas à prendre part aux événements majeurs qui l’animent. La Global Game Jam, rendez-vous substantiel pour beaucoup de développeurs amateurs et d’étudiants, s’est très largement développée ces dernières années et est représentée dans une dizaine de lieux répartis dans tout le territoire. Ces fameuses jams sont l’occasion pour les créateurs français de se faire un nom sur la scène internationale et de développer des projets novateurs, à l’image d’Evoland, réalisé durant la Ludum Dare 24 dont le thème était "Evolution". Le concept avait ravi les internautes puisqu’il proposait une mise en abyme du jeu vidéo reprenant la forme du très célèbre Zelda. Le créateur du jeu, Nicolas Cannasse, a depuis fondé Shiro Games, un studio indépendant basé à Bordeaux, et travaille aujourd’hui sur plusieurs projets dont Evoland 2, suite logique du prototype qui avait eu énormément de succès. On pourrait également citer les Lillois de Seaven Studio, qui s’allient depuis plus d’un an avec le groupe TurboDindon pour créer une version complète d’Inside My Radio, projet gagnant de la Ludum Dare 23 où le joueur explore un poste de radio dans la peau d’un être vivant fluorescent, répondant au rythme de la musique pour progresser dans les niveaux. À l’issue des jams, les deux projets ont bénéficié de beaucoup d’affichage et ont pu être présentés sur des salons internationaux.
Également habitué des jams, Sébastien "Deepnight" Bénard, originaire de Bordeaux, profite aussi de tels événements pour concocter des dizaines de petits projets qui lui valent très souvent les félicitations de la presse internationale. Récemment, il a annoncé travailler avec le studio français Motion Twin (à qui l’on doit déjà Hordes, La Brute ou encore Studio Quiz) sur un nouveau jeu proche de la série Hordes, nomméDead Cells. On y incarne un survivant accompagné d’autres joueurs et devant se protéger d’une horde de zombies. Au fur et à mesure des parties, les joueurs peuvent trahir leur groupe pour leur propre intérêt et ainsi créer des situations loufoques.
La plupart des développeurs travaillant actuellement dans le domaine du jeu vidéo en France ne sont pas forcément originaires de ce milieu. La France a toutefois la chance d’être l’un des pays européens où les écoles de jeu vidéo et d’animation sont les plus développées. Majoritairement situés en région parisienne (Les Gobelins, ISART Digital…) et dans le Nord (Supinfogame, Supinfocom), ces établissements laissent le champ libre aux étudiants, qui participent souvent à des concours tels que le Hits Playtime (organisé par le journal Le Monde) ou l’Imagine Cup, présidé par Microsoft. Cette scène étudiante assez développée est à l’origine de nombreux projets. Anarcute, par exemple, est un simulateur d’émeutes décrit comme "mignon" par ses cinq créateurs, étudiants à Supinfogame. Certains d’entre eux ont même fondé un collectif nommé Klondike, qui enchaîne les sorties à un rythme impressionnant.
Dans la région parisienne, le projet Event[0] a récemment fait parler de lui. Réalisé par d’anciens étudiants de l’ENJMIN, une école située à Angoulême, ce jeu d’aventure propose au joueur de dialoguer avec une intelligence artificielle dans un vaisseau spatial apparemment désert. Le jeu s’est fait connaître ces derniers mois et a remporté plusieurs récompenses, notamment un prix aux European Indie Game Days, qui se sont tenus à Montreuil. Les EIGD, d’ailleurs, constituent un événement européen majeur du jeu vidéo indépendant et sont organisé par des français.
Finalement, il paraît inconcevable de parler de la scène indépendante française sans évoquer son exotisme. Les créateurs savent aussi sortir du cadre traditionnel du jeu vidéo pour offrir au public des expériences plus surprenantes. One Life Remains, par exemple, est un collectif parisien centré sur la composante physique du jeu vidéo, comme ils le montrent avec Slam of the Arcade Age, un jeu de course basé sur des boutons disposés sur une table et que les joueurs doivent marteler successivement pour avancer. Le groupe présente régulièrement ses jeux typés "arcade" lors de salons dans toute l’Europe. Le West Indie Collective, par ailleurs, assure l’organisation d’événements liés au jeu indépendant dans la partie ouest de l’Hexagone. C’est ce nom que l’on retrouve derrière l’organisation du Stunfest, célèbre festival local.
Pour rallier créateurs et joueurs autour d’un même blason dans toute la France et unifier l’ensemble du territoire (preuve qu’il n’existe pas réellement de capitale du jeu indépendant en France), Thibault Trampont profite de la diversité française en matière de jeu indépendant pour organiser ce qu’il appelle des "Indie Games Play", qui prennent la forme de rencontres entre les développeurs et le public. Le rendez-vous, souvent pris dans un bar, attire des dizaines de curieux venus tester des projets locaux et doit organiser sous peu sa troisième édition.

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