Une loi pour le domaine public en France !

Source : La Feuille
Voilà longtemps que le juriste et bibliothécaire Lionel Maurel s'est imposé comme l'un des plus intéressants commentateurs des atteintes au domaine public, que ce soit sur son blog, sur son profil Twitter comme sur les tribunes qu'il signe pour Owni.fr, ainsi que via le collectif SavoirsCom1 (savoirs communs) qu'il coanime avec la même énergie depuis peu.
Sa dernière contribution mérite toute notre attention puisqu'elle esquisse rien de moins qu'une très argumentée proposition de loi pour définir, défendre et étendre le domaine public dans la Loi française. Dans la perspective que le ministère de la Culture établisse en 2013 une loi sur le Patrimoine, Lionel Maurel en a profité pour concevoir une loi qui définirait et défendrait le domaine public.

Image : I Have A Dream. Par Dr Case. CC-BY-NC. Source : Flickr.

Défensif, car il est urgent de protéger le domaine public à l’heure du numérique. Il a connu une lente érosion au fil du XXe siècle, du fait de l’allongement continuel de la durée des droits et de la mise en place des droits voisins. Mais avec la numérisation, il est également menacé par de nombreux stratagèmes mis en place pour faire renaître des couches de droits divers et variés (copyfraud). Alors que la numérisation devrait être l’occasion de diffuser largement le domaine public, en accord avec sa nature, les institutions culturelles (bibliothèques, musées, archives) qui assurent la numérisation portent dans leur immense majorité atteinte à son intégrité. La mise en place de partenariats publics privés pour la numérisation du Patrimoine est aussi une source grave d’atteintes potentielles, à cause des exclusivités consenties par les établissements publics aux firmes privées.
Pour ces raisons, si l’on veut que le domaine public ait encore un sens au XXIe siècle, il est essentiel de le consacrer et de le protéger par la loi. On ne peut plus laisser une question aussi essentielle relever du ressort des seuls établissements culturels et des collectivités dont ils dépendent, qui sont souvent mal armés pour aborder la question et engagés dans des logiques de dégagement de ressources propres qui peuvent les pousser à marchandiser le domaine public. Le domaine public doit être le même pour tous les citoyens en France, car derrière cette notion, c’est la liberté fondamentale d’accès à la Culture et le droit de créer à partir des oeuvres du passé qui sont en jeu.
L’autre objectif d’une telle loi serait de reprendre l’initiative et de passer à l’offensive sur de nouvelles bases en matière de réforme du droit d’auteur. Pour l’instant, c’est à partir de la question du piratage/partage des oeuvres en ligne que cette réforme est le plus souvent abordée, dans le climat de tension que l’on connaît. Des propositions structurées sont pourtant sur la table, autour de la reconnaissance du partage non marchand, mais il est possible d’ouvrir un second front au sujet du domaine public, qui remplira un rôle complémentaire.
Lionel explique et argumente en 20 points une réforme législative permettant d'asseoir le domaine public que je vous invite vraiment à lire (et à y réagir, bien sûr). Elle est très précise et passe en revue (pour les désamorcer) nombre de points problématiques qui grignotent le domaine public chaque jour, comme l'explique le sommaire synthétique des points abordés :
I) Consacrer explicitement la notion de domaine public dans le Code de Propriété Intellectuelle français
1. Préciser la définition de l’œuvre de l’esprit en consacrant dans la loi les critères d’originalité et de mise en forme
2. Inscrire explicitement la notion de domaine public à l’article relatif à la durée des droits.
II) Simplifier le régime du domaine public et unifier la durée des droits
3. Supprimer les prorogations pour années de guerre
4. Supprimer la prorogation de 30 ans bénéficiant aux auteurs « Morts pour la France »
5. Supprimer le régime particulier des oeuvres posthumes
6. Simplifier l’application internationale du droit d’auteur
III) Limiter le champ d’application du droit d’auteur
7. Supprimer la protection spécifique des titres d’oeuvres
8. Introduire en droit français la distinction oeuvres utiles/oeuvres artistiques
9. Limiter le droit moral à la vie de l’auteur
10. Préserver le domaine public incorporé dans des oeuvres composites
11. Garder le domaine public réutilisable en cas de simples rééditions d’oeuvres
12. Instaurer un « test en trois étapes à l’envers » pour prévenir les atteintes futures au domaine public
IV) Empêcher les atteintes à l’intégrité du domaine public
13. Les reproduction fidèles d’oeuvres en deux dimensions appartenant au domaine public doivent aussi être dans le domaine public
14. Empêcher la neutralisation du domaine public par le droit des bases de données
15. Empêcher que la réutilisation d’oeuvres du domaine public soit entravée sur le fondement de la loi du 17 juillet 1978 relative aux informations publiques
16. Empêcher les interférences entre le domaine public au sens de la propriété intellectuelle et le domaine public au sens de la domanialité publique
17. Empêcher que la réutilisation d’oeuvres du domaine public soit entravée par des clauses contractuelles
18. Empêcher que la réutilisation d’oeuvres du domaine public soit entravée par des DRM
19. Empêcher que les reproductions d’oeuvres du domaine public soient interdites dans les emprises des institutions culturelles
V) Encadrer strictement les partenariats public-privé de numérisation
20. Limiter les exclusivités concédées aux partenaires privés et introduire les préconisations comité des sages européens dans la loi du 17 juillet 1978
VI) Élargir le domaine public par le versement d’oeuvres récentes
21. Faciliter le versement volontaire au domaine public des oeuvres par leurs auteurs
22. Faire entrer dans le domaine public les oeuvres produites par des agents publics dans l’exercice de leur mission de service public
VII) Créer des mécanismes pour rendre effectif le domaine public
23. Instaurer des sanctions en cas d’atteinte à l’intégrité du domaine public
24. Donner compétence à la CADA pour rendre des avis sur la réutilisation des oeuvres du domaine public
25. Créer un Registre national du domaine public
26. Faire en sorte que les métadonnées correspondants à des oeuvres du domaine public soient elles-aussi automatiquement dans le domaine public
Mais je vous laisser prendre le temps de découvrir la précision avec laquelle le juriste défend nos biens communs.
Ces propositions sont une chance pour nous tous de revivifier le domaine public, ce bien commun de la connaissance dont nous avons tous besoin pour créer et apprendre.
Comme le clame Lionel, je fais le même rêve que lui : "que la France, pays de Beaumarchais et du droit d’auteur, devienne aussi le premier à adopter une loi pour le domaine public !"
J'espère que nos législateurs seront à l'écoute. Et que cette première pierre sera suivit de bien d'autres pour que nous puissions un jour tous bénéficier de droits plus équilibrés non seulement pour défendre ce qui appartient à certains (le droit d'auteur) comme ce qui appartient à tous et à personne : Le domaine public !

http://fr.wikipedia.org/wiki/Copyfraud

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