Droit à l’oubli, un combat perdu d’avance ?
Source : 01net.com
Pouvoir disparaître totalement ou partiellement du Net, effacer des données gênantes ou compromettantes. Pouvoir s'offrir une deuxième vie en ligne. Est-ce possible ? Peut-être, mais ce n'est pas facile (inclus : Trois conseils pour éviter que votre vie numérique soit un enfer).
Pouvoir disparaître totalement ou partiellement du Net, effacer des données gênantes ou compromettantes. Pouvoir s'offrir une deuxième vie en ligne. Est-ce possible ? Peut-être, mais ce n'est pas facile (inclus : Trois conseils pour éviter que votre vie numérique soit un enfer).
« Il y a 17 ans, moins de 1 % des
Européens utilisaient Internet. Aujourd’hui, une quantité colossale de
données personnelles sont transférées et échangées (…) à travers le
monde en quelques fractions de seconde ». C’est ainsi que Viviane
Reding, Commissaire européenne à la Justice, a introduit, le 25 janvier
dernier, sa réforme de la directive de 1995 sur la protection des
données personnelles. Au cœur de cette de réforme, le « droit à l’oubli
numérique ». Une formule presque poétique pour indiquer que chaque
personne a le droit de pouvoir contrôler et supprimer toutes les
informations la concernant. Qu’il s’agisse d’un profil sur Facebook,
Google, Twitter, ou de propos tenus en ligne.
Pas une zone de non-droit
« Le Web est une formidable mémoire »,
a-t-on l’habitude de dire. Une plateforme technologique qui garde tout
en mémoire, même quand on voudrait oublier, même quand la justice des
hommes a blanchi ou que la peine a été purgée. Mais pour autant, ce
n’est pas une zone de non-droit, comme on le pense parfois. Eric Barbry,
avocat spécialiste des nouvelles technologies, au sein du cabinet
Bensoussan, rappelle que le droit à l’oubli figure dans la loi
Informatique et liberté, de janvier 1978.
Il voit toutefois cette directive, qui devrait être intégrée dans notre droit national d’ici trois ans, d’un bon œil. « Il est nécessaire d’encadrer, d’imposer des standards techniques » pour permettre aux particuliers de contrôler leurs informations. Et d'ajouter : « Il faut mettre en place des modes opératoires pour éviter (que le droit numérique) reste un vœu pieu. »
Une génération sacrifiée
D’autant
que dans les temps à venir, les choses risquent d’empirer avec
l’arrivée sur le marché du travail d’une génération d’utilisateurs des
réseaux sociaux et d’Internet « décomplexés ». « Une génération sacrifiée », pour Eric Barbry, parce que ceux qui étaient jeunes adultes à l’apparition d’Internet « n’ont pas été capables de leur expliquer les dangers d’une utilisation sans limite et sans contrôle ». Et de continuer un brin pessimiste. « Oui, ils auront des soucis, oui, ils devront nettoyer le Web. »
Un peu plus pondéré, Geoffroy
Coulouvrat, responsable juridique pour la société Reputation Squad,
société spécialisée dans le conseil en e-reputation, précise que « beaucoup sont conscients de certaines limites ».
Mais il faudra effectivement voir ce qui se passera dans quelques
années quand cette génération arrivera à des postes à responsabilités où
l'e-reputation – qui se définit par tout ce qui ressort de la vie
numérique de l’individu – compte vraiment. Il précise toutefois que le
comportement de certains jeunes laisse entendre qu’ils semblent déjà
avoir fait une croix sur certains choix de carrière… Avec ce qu’ils ont
déjà mis en ligne, ils ne pourront jamais prétendre à certains postes à
responsabilités.
Le droit à l’oubli irréaliste ?
Inquiétant. D’autant que, selon Eric Barbry, le « droit à l’oubli commence par la prise de conscience qu’il ne sera jamais totalement effectif ».
Autrement dit, il ne sera jamais possible de contrôler totalement les
données et les propos personnels qu’on a mis en ligne ou qu’un tiers a
mis en ligne. Albéric Guigou, président de Reputation Squad, va même un
peu plus loin. Pour lui, « le droit à l’oubli n’est souvent que temporaire. Il est relatif ». Et de préciser : «
On peut faire plonger certains contenus dans les profondeurs des
classements d’un moteur de recherche pendant quelques semaines ou mois,
le temps d’un recrutement. Mais l’oubli pérenne est techniquement
beaucoup plus difficile à obtenir. »
Il est possible « de noyer des
contenus en en créant de nouveaux, en travaillant aux référencements de
sites ou blogs persos ou en appuyant sur le levier légal », mais il
est quasiment impossible de tout effacer, quand les contenus sont
hébergés dans certains pays étrangers ou sur une plateforme fermée
depuis, mais toujours accessible. Car, en définitive, les réseaux
sociaux ne sont pas les plus menaçants pour nos données personnelles : « Facebook reste très privé, on s’assume sous sa véritable identité. »
Trois conseils pour éviter que votre vie numérique soit un enfer
Eric BARBRY, avocat à la cour,
spécialiste des nouvelles technologies au sein du cabinet Alain
Bensoussan, nous donne ses conseils pour éviter de gâcher sa vie
numérique.
1 – Bien paramétrer les espaces
privés et publics. Toujours veiller à publier des informations dans le
bon canal et ne pas donner en pâture à des inconnus des informations
trop personnelles.
2 – Etre vigilant. Faire très
attention à ce qu’on dit, à qui et comment. Toujours essayer de prendre
du recul pour éviter des propos ou autres contenus dont on pourrait
regretter la publication.
3 – Se surveiller. Régulièrement,
sur Google, Google Images ou sur d’autres services présents sur le Web,
faire un point sur sa présence en ligne et les occurrences qui remontent
quand vous tapez votre nom, par exemple.
Une deuxième chance
Pour
Albéric Guigou, la question du droit à l’oubli numérique revient à se
demander si la société peut et veut donner une deuxième chance aux
Internautes. Et pour Eric Barbry, craindre que les intérêts économiques
autour du commerce des données personnelles nuisent à ce droit est sans
fondement : « L’industrie du Web est puissante, mais n’empêchera pas la mise en place de règles. » L’histoire nous prouve que quand il a fallu taper sur les puissants et aller au contentieux, on y est allé.
Dès lors, on s’inquiète, si le droit est
établi, d’une justice à deux vitesses pour ceux qui pourront payer et
pour les autres. Sur ce point, Eric Barbry commente : « Oui, il y aura ceux qui auront les moyens de nettoyer le Web et les autres. »
Chez Reputation Squad, on précise davantage les choses. S’il est vrai
que leurs clients proviennent de toutes les catégories
socioprofessionnelles, les clients les moins aisés les contactent
effectivement quand le problème est crucial. Comme ce comptable qui ne
trouvait plus d’emploi parce que la première occurrence sur son nom dans
Google faisait remonter une affaire d’arnaque à la note de frais, pour
laquelle il avait été blanchi. Autrement dit, les riches viennent pour
le confort, les moins riches pour vivre. Il faut dire qu’une
intervention de Reputation Squad peut coûter entre 200 et 10 000 euros
en fonction de la difficulté de l’affaire.
Conscient de la multiplication des
risques pour le droit à l’oubli, les assureurs ont mis en place, en
partenariat avec des sociétés comme Reputation Squad d’ailleurs, des
formules visant à protéger les données personnelles et l’e-reputation.
Une assurance sur la deuxième chance donc.
En finir avec la vie… numérique
Reste
évidemment, la solution définitive, celle du 'suicide' numérique. Où on
se désinscrit de tous les services en ligne. Pour autant, sauf s’il
s’agit d’une position idéologique, cela paraît difficile de vivre au XXIe
siècle hors d’Internet, d’autant qu’une fois encore, quitter Internet
ne signifie pas que vos données vous suivront et deviendront, elles
aussi, inaccessibles.