Oeuvres indisponibles : "Une première en Europe"

Source: Actualitté

La France peut saluer une grande avancée. Peut-être pas, comme le revendique le Syndicat national de l'édition, « une première en Europe », mais en tout cas, c'est une belle chose qui s'est mise en place. Désormais, ou plutôt, bientôt, des centaines de milliers d'oeuvres dites indisponibles, pourront revivre. C'est magnifique.

Hier, l'Assemblée nationale a donc adopté le projet de loi qui va permettre la numérisation de 500.000 livres. C'est donc avec gourmandise que le SNE se félicite, et avec lui la BnF, qui va activement prendre part à cette entreprise. Et le ministère de la Culture, et la Société des Gens de Lettres.

Première étape : numériser. Et donc, réaliser un énorme catalogue de livres numériques dits homothétiques, qui pourront grossir les offres légales. Deuxième étape : vendre. Et par ce biais, réaliser des profits, qu'une société de gestion collective, chargée de récolter l'argent va ensuite répartir. Comment, pour le moment, on ne le sait pas. Troisième étape : que le consommateur se gratte un peu la tempe pour savoir ce qu'il en est...


« C'est un texte très équilibré. Nous ne pouvons que nous réjouir du consensus politique qui va permettre de redonner vie à des oeuvres, et cela avant une directive européenne en projet », expliquait auprès de l'AFP Christine de Mazières, déléguée générale du SNE.


Or, plusieurs points restent encore sombres, dans cette histoire de zone grise. Et l'un d'entre eux, particulièrement concerne les oeuvres dites orphelines. On le sait, dans le projet de loi adopté par l'Assemblée nationale, la question a été expédiée avec pertes et fracas. Il avait été envisagé dans le texte du Sénat de permettre l'utilisation gratuite des oeuvres orphelines, après 10 années d'exploitation, avec la possibilité de pouvoir, pour l'ayant droit, de faire valoir la paternité de son oeuvre.

Oeuvre orpheline. Très simplement, cela désigne une oeuvre qui est sous droit, mais dont on ne sait pas à qui reverser les droits des ventes. 

Un douloureux coup dans les orphelines

Ces oeuvres orphelines, donc, seront soumises au même principe que les oeuvres sous droit : gérées par la société de gestion collective, qui doit apporter les preuves des moyens qu'elle a mis en place pour rechercher les auteurs. Un travail qui risque d'échoir à la BnF, et pour lequel l'établissement a évidemment les compétences intellectuelles. Mais ici, on parle d'argent. Et si ce travail de recherche n'est plus du fait de la société de gestion, alors... à quoi va-t-elle servir sur ce point ?

Oeuvres orphelines, donc... pour lesquelles finalement il faudra payer pour l'obtention de licences, alors que très probablement, les ayants droit ne réapparaîtront jamais, et ne demanderont donc pas à être rémunérés. Payer pour accéder à des oeuvres pour lesquelles les auteurs ne recevront pas d'argent ? Singulier. Peut-être est-ce bien là ce qui était salué comme une première en France. « C'est assez fabuleux de devoir payer pour une licence dans ces conditions », nous fait-on remarquer.  

Oeuvres orphelines, toujours... auxquelles l'Europe s'intéresse particulièrement par le biais d'une directive qui les concerne. Or, au travers de cette directive, l'orientation choisie était bien de donner accès gratuitement à ces oeuvres. Pour l'heure, la directive n'est pas encore validée ni achevée... mais la France se met-elle d'ores et déjà en indélicatesse avec le projet européen ? L'articulation du projet de loi avec  la directive européenne ne manquera pas, d'ici quelque temps de faire sourire : comment le législateur français, obéissant au travail de lobbying, va-t-il se tortiller, pour faire rentrer sa législation dans les cases de celle de l'Europe ?

Comme s'il ne suffisait pas déjà qu'il se mette prochainement à dos la Commission européenne, pour avoir harmonisé la TVA du livre numérique avec celle du livre papier. Allant, par là même, contre la TVA communautaire. Heureusement, dans ce contexte, le Luxembourg l'accompagnera...

On fait du Google, mais légalement

Mais ce qui est fantastique, c'est tout de même d'entendre un certain Hervé Gaymard déclarer, avec le plus grand aplomb : « C'est une première réponse constructive à la tentative de Google de numériser sauvagement des titres sans tenir compte du droit d'auteur. »

C'est que, et on aura l'occasion d'y revenir, dans le grand chambardement des affaires Google Books, l'une des plus grandes critiques portées contre la société américaine concernait l'opt-out. C'est-à-dire que Google numérisait en premier, et réfléchissait ensuite. En fait, implicitement, Google estimait que l'auteur acceptait de voir son oeuvre numérisée, et par la suite, acceptait de retirer l'oeuvre en question. Scandale ! 


Mais c'est précisément avec ce même principe de numérisation d'office que le projet de loi va porter la constitution du stock de 500.000 livres : un opt-out. Tout pareillement à ce que l'on reprochait à Google. Oui, rétorquera-t-on, mais dans le domaine, la présence d'une société de gestion collective assure un cadre légal et donc une sécurité juridique. Ce que ne garantit pas une société privée, et que l'on ne peut absolument pas laisser aux mains d'un Google ou assimilé !

Sauf que, bien malins, les parlementaires ont refusé de valider un amendement, qui voulait supprimer une inversion de la charge de la preuve. Par celle-ci, l'éditeur aurait eu à prouver qu'il détenait bien les droits de l'oeuvre numérisée. Alors que dans la situation présente, c'est bien à l'auteur de démontrer que l'éditeur ne dispose pas des droits. Un véritable casse-tête judiciaire en perspective, auxquels les auteurs ne s'astreindront jamais, bien entendu. 

Quant à la manne financière que cela va représenter pour les éditeurs...

Mais, et c'est bien là que toute cette histoire devient amusante, si l'oeuvre est indisponible, c'est bien que commercialement, il n'est plus possible de se la procurer, non ? 

Commercialement indisponible... pas pour tout le monde

C'est d'ailleurs bien sur ce modèle que Hachette avait signé avec Google un accord concernant les oeuvres commercialement indisponibles. L'éditeur nous en avait donné la définition suivante : « Les "œuvres commercialement indisponibles" désignent les ouvrages définitivement épuisés, à distinguer des ouvrages "en rupture de stock", cette rupture-là pouvant être momentanée. »

Or, l'Union des écrivains avait fait valoir que l'exploitation commerciale de l'oeuvre était« au cœur de la raison d'être du contrat d'édition : c'est à la condition expresse faite à l'éditeur d'exploiter l'œuvre de façon permanente et suivie que l'auteur lui cède ses droits d'exploitation (et jamais ses droits moraux) ». Et qu'à compter du moment où « l'exploitation [était] interrompue, le contrat d'édition se trouve de fait annulé. Il suffit à l'auteur de le rappeler à l'éditeur pour que celui-ci confirme sa renonciation, sauf à reprendre l'exploitation de l'œuvre ». (voir notre actualitté)

Finalement, avec ce projet de loi, adopté, ne va-t-on pas aller à l'encontre du droit d'auteur ? N'ont-ils pas ici la preuve directe que l'éditeur ne détient plus les droits d'une oeuvre, destinée à être numérisée, et dont l'exploitation commerciale n'est plus, par les soins de son éditeur, assurée ? 

Selon Bruno Racine, cité apr l'AFP, la « BNF est pleinement engagée dans ce grand projet au service des lecteurs qui va faire référence sur le plan mondial ». Et d'ajouter : « C'est une avancée absolument majeure qui va être consacrée par la loi, une résurrection pour des centaines de milliers d'oeuvres qui n'étaient plus accessibles que dans les bibliothèques. »

Pour les éditeurs, pour la société de gestion de droits, on le comprend bien, oui, et même pour le consommateur peut-être. Mais qu'en sera-t-il des auteurs ?

Dans tous les cas, le rendez-vous est donné pour la Commission Mixte Paritaire qui statuera le 1er février.

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