Le réseau qui ringardise Twitter

Source: Le MondeRÉSEAU SOCIAL – Parce qu'elle passe par l'image et non par les mots, Instagram est la dernière application à la mode. En un an, l'appli a déjà séduit 15 millions d'utilisateurs.Vous voulez voir les photos de vacances (et de campagne) de Barack Obama en direct ? Pas compliqué : il vous suffit d'installer l'application Instagram sur votre téléphone portable et de vous abonner à son compte. Ce n'est pas un hasard si les équipes du président américain ont choisi de communiquer par ce canal en cette année électorale. Obama a gagné la bataille du Web en 2008 en investissant Facebook. Il compte bien faire de même en 2012. Mais un réseau social, ça vieillit vite. Myspace est désormais une relique. Surpuissant, Facebook ressemble à un annuaire planétaire, doublé d'un Big Brother aux arborescences infinies. Twitter a bien eu son heure de gloire, mais on y côtoie désormais Nadine Morano. Aujourd'hui, le buzz, c'est sur Instagram (IG).
Lancé le 6 octobre 2010, le service compte déjà
plus de 15 millions d'utilisateurs. Ce qui en fait le premier réseau social mobile au monde. Comment- ça marche ? On prend une photo avec son iPhone, on la retouche grâce à un choix de filtres et on partage avec ses " followers " (suiveurs) sur tous ses réseaux. A l'inverse de Flickr, Instagram se passe d'ordinateur et du Web à la papa. Tout a lieu sur le flux du smartphone. Quelque 400 millions d'images ont été postées sur Instagram, qui a été élue " App of the Year 2011 " (application de l'année). Une croissance exponentielle qui s'explique par sa facilité d'adoption, sa gratuité, la qualité de ses photos et son aura branchée.
Derrière la réussite d'IG, une histoire comme la Silicon Valley les aime : deux jeunes dans un bureau, une bonne idée au bon moment, une levée de fonds et la mayonnaise qui prend. Le parcours du PDG, Kevin Systrom, est emblématique. En 2004, alors étudiant à Stanford, il refuse l'offre d'un certain Mark Zuckerberg de le rejoindre sur son projet (qui deviendra Facebook, donc). Son diplôme en poche, Systrom passe par Google et Odeo (l'ancêtre de Twitter) avant de fonder sa propre start-up. Une expérience courte mais instructive, car Instagram peut être comparée à un Twitter en image. Aujourd'hui encore, l'entreprise ne compte qu'une dizaine de salariés pour gérer ses millions d'utilisateurs.
La première photo postée par Barack Obama sur Instagram.
Qui sont-ils, ces " instagrammers " (IGers pour les initiés) ? Au départ, beaucoup de photographes, pros ou amateurs éclairés. Des designers, des graphistes et autres gens du monde de la mode. Pour le dire vite : les créatifs. On y trouve aussi des célébrités plutôt chics. Le cuisinier anglais Jamie Oliver a fait partie des premiers adeptes, tout comme la légende du skate Tony Hawk, le chanteur pop végétarien Moby, le rappeur Snoop Dogg ou l'actrice Zooey Deschanel. De quoi attirer les foules de curieux.
Comme sur tous les réseaux, le narcissisme et le jeu de la notoriété virtuelle, évaluée au nombre d'abonnés, de " likes "(j'aime) et de commentaires, tiennent un rôle prépondérant. Un jeu qui devient facilement addictif. Les IGers les plus accros centrent leur journée autour de la photo à poster. Ainsi de Mike Kus, webdesigner anglais dont le profil est le plus suivi du réseau, qui explique " utiliser Instagram pour décrire [sa] vie quotidienne ". analyse Yann Leroux, psychanalyste spécialiste des mondes numériques. " C'est l'idée exposée par [le psychanalyste] Serge Tisseron : ce que je vis dans mon intimité, je le mets dans un espace social pour que ce soit validé par quelqu'un d'autre. De plus, en permettant de retoucher les images, Instagram donne une prise sur le monde. En modifiant une image externe, on modifie une image de soi. On est dans une construction permanente de l'identité. "L'identité d'Instagram, elle, est globale. Le principe du tout-image réduit en effet la barrière de la langue. " C'est une communauté très bien répartie géographiquement, contrairement à Twitter qui est très anglo-saxonne ", explique Thomas Corgnet, photographe et cofondateur du site OpenAsk, une plateforme sociale censée permettre de tester sa personnalité. " Elle est décentrée par nature, car ma photo de Paris intéresse moins les Parisiens que mes abonnés en Turquie, en Asie ou en Amérique du Sud. Tu as vite l'impression d'être ami avec des gens que tu ne connais pas, grâce à une sensibilité graphique commune. C'est un lien fort, en temps réel. "Les marques n'ont pas tardé à saisir l'intérêt d'Instagram. " C'est l'archétype du SoLoMo (Social, Local, Mobile) qui va gouverner la stratégie des grandes marques en 2012 ", prévoit Thomas Corgnet. Luxe, consommation, médias : les Gucci, Tiffany, Starbucks, Redbull, Wired, MTV et consorts ont investi la place en créant des profils. Au risque de galvauder l'âme artistique du réseau.
Car Instagram, c'est aussi la victoire d'une esthétique. Avec son format carré, ses cadres blancs et sa gamme de filtres rendant hommage à l'Instamatic et au Polaroïd, l'application offre une coloration vintage. Un charme fifties/seventies qu'on retrouve dans la série " Mad Men " ou le clip Video Games de Lana del Rey.
" C'est une référence au rendu des films de cette époque, à leur vieillissement. Les filtres recréent même les défauts de ce matériel. Cela nous permet de nous inscrire dans l'histoire, alors que nous sommes dans un monde numérique où les images n'ont plus de forme tangible ", décrypte le photographe Mathieu Bernard-Reymond, lauréat du prix Arcimboldo, qui récompense la photo numérique. Jouissive, l'application donne facilement l'impression (ou l'illusion) qu'un artiste sommeille en chacun de nous. " On pense avoir réussi une image dès qu'elle fait un peu vieillotte. C'est un peu plus compliqué que ça ",nuance le photographe.
Pour les plus de 30 ans, Instagram renvoie au grain des photos d'enfance dans les albums de famille. Un plaisir régressif ? " Il y a un côté madeleine de Proust, confirme Yann Leroux. Nous nous immergeons dans les sensations de l'enfance tout en nous plaçant dans la peau de nos parents, qui tenaient l'appareil. " Si la nostalgie fait partie de son fonds de commerce, Instagram s'occupe aussi de son futur. Kevin Systrom a annoncé une prochaine déclinaison pour les téléphones Android, l'application étant jusqu'ici disponible uniquement sur les produits Apple. Le PDG a également évoqué le partage de vidéos. On peut parier qu'en se développant, Instagram perdra un peu de son aura branchée. La photo la plus populaire, choisie par 58 000 personnes, a été postée par le jeune chanteur Justin Bieber. Elle est moche. Pas sûr que les créatifs restent longtemps dans ce voisinage. D'autant que la concurrence guette. Les applications Picplz ou Path, qui proposent des services proches, pointent déjà le bout de leur objectif. Attendons de voir si Barack Obama les adopte...
Avec Instagram, on peut suivre les  aventures Justin  Bieber.

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